Le photographe Enzo Fabrizio Cuyan-Lopez voit d’un bon œil la rencontre entre ses racines latino-américaines et son appartenance à Montréal. L’Apostrophe dresse le portrait d’un jeune dans une ville « cosmopolite et d’échanges culturels », selon un sociologue.

Les photographes de Montréal le connaissent sous le nom de Clenzof. Né à Montréal d’un père guatémaltèque et d’une mère équatorienne arrivés très jeunes au Québec, il a toujours vécu entre Villeray et Ahuntsic.
C’est avec une légèreté et un calme bien à lui qu’Enzo s’exprime sur son bagage culturel familial. Pour lui, les identités latino-américaine et montréalaise s’entrecroisent sans dissension.
« L’identité montréalaise, c’est une identité qui est plus cosmopolite. Je pense qu'il est tout à fait possible de se construire une identité à partir de plusieurs identités », explique le sociologue et expert en intégration socioprofessionnelle des personnes issues de l’immigration, Sébastien Arcand.

Enzo pratique son art avec talent et humilité. Il a gradué de la technique en photographie au cégep du Vieux Montréal au printemps 2025. Il se décrit sur son site internet professionnel comme un photographe qui « explore mode, portrait et esthétique urbaine avec une approche spontanée ».
« Enzo a une vision propre à lui-même qui, je pense, plaît à beaucoup de gens. Il travaille beaucoup dans l’ombre. […] Après ça, il sort des trucs de dingo », raconte le photographe Arno Jouvante Chung qui a côtoyé Enzo au cégep.



Enzo a visité sa famille en Équateur pour la toute première fois entre mai et juin dernier. Il est resté chez sa grand-mère Bertha dans la ville de Jipijapa, à l’ouest du pays.
« Mon espagnol était rouillé », lâche-t-il avec un sourire. Il raconte s’être demandé s’il se sentait davantage latino ou canadien une fois en Équateur.
Faut-il choisir?
Il hausse les épaules.


« Je ne pense pas qu'on soit obligé de décider [de notre appartenance culturelle] », explique Sébastien Arcand. « Il y a des gens qui vivent des questionnements identitaires. Ils ont besoin d'un socle, de se rattacher à une histoire, à un passé, à des valeurs concrètes, alors que d'autres vont se considérer comme des êtres plus multiculturels », poursuit-il.


Enzo a poursuivi sa découverte de l’Équateur vers Guayaquil, capitale économique du pays. Sa famille lui a fait part de l’instabilité politique, du trafic de cocaïne et des conflits internes.
« Là-bas, ça brasse », dit-il, le regard posé sur ses photos.
Enzo a voulu réaliser un projet photographique à partir de ses clichés de l’Équateur, puis s’est résigné.


« J’ai été comme… gêné de parler espagnol pendant longtemps », dit Enzo. Il confie ne pas s’être toujours senti « autant latino » que d’autres Latino-américains qu’il rencontre à Montréal.
Son voyage en Équateur l’a rapproché de la musique latine. C’est ce qui le lie le plus étroitement à ses origines, selon lui.
« Il y a des gens pour qui c'est très important de conserver, cultiver la culture d'appartenance de leurs parents. Pour d'autres, ce l'est un peu moins, pour toutes sortes de raisons », explique le sociologue Sébastien Arcand.


Impossible de manquer la photo qui occupe un mur complet chez les parents d’Enzo.
« Ça, ça a été [imprimé] au cégep », explique-t-il.
Son impression a été réalisée au printemps 2025 pour Expo Obscura, l’exposition des finissants en photographie du cégep du Vieux Montréal. Sa mère a tenu à mettre la photo de son fils en évidence.


Les murs de l’appartement d’Enzo sont constellés de photos qu’il a prises. Il a quitté l’appartement de ses parents il y a quelques mois, quand il a emménagé un étage plus bas avec sa copine.
Les vinyles et recueils photographiques meublent les étagères. Des caméras reposent sur les tablettes et la table du salon.
« J’aimerais avoir mon studio [de photo] un jour », confie-t-il.


« Vamos a hablar » [NDLR : Nous allons parler], chante la voix qui sort de l’ordinateur.
Enzo et son ami Tristan Guiet, photographe lui aussi, travaillent sur la sortie de leur deuxième album sous le nom de Stand By Take One. C’est à la recherche de mesures qui accrochent l’oreille qu’ils ratissent les plateformes d’écoute et déterrent des morceaux oubliés. Leurs beats sont des casse-têtes de mesures, paroles et mélodies retravaillées.
Ils puisent dans le soul afro-américain des années 70, le jazz européen et les samples italiens et japonais. Leur démarche décontractée, mais assidue a mené à des collaborations avec le rappeur montréalais SeinsSucrer.


Sébastien Arcand explique que le contexte de diversité à Montréal permet d’y vivre une identité culturelle de façon volontaire et anonyme, ce qui est plus difficile dans des environnements culturels « homogènes ».
La ville cosmopolite serait un « lieu de syncrétisme identitaire, c'est-à-dire de point de rencontre où plusieurs identités peuvent se mêler, s'intégrer. », observe-t-il.
« Je suis fier d’être Montréalais », lâche Enzo.