Jens Haaning, l’auteur de Take the Money and Run, a porté en appel le jugement rendu le 18 septembre dernier l’obligeant à retourner l’équivalent de 68 612 $ CA empruntés au musée Kunsten.
En 2021, le musée Kunsten, au Danemark, a mandaté l’artiste Jens Haaning pour la reproduction d’anciennes œuvres où le salaire annuel moyen d’un habitant d’un pays était représenté à l’aide de billets de banque. L’œuvre intègrerait l’exposition Work it out, dont le thème est une réflexion sur les conditions et pratiques professionnelles. Pour ce faire, environ 68 612 $ CA lui ont été prêtés jusqu’au 16 janvier 2022, date de fin de l’exposition.
L'artiste a remis au musée deux toiles vides intitulées Take the Money and Run, ainsi qu'un courriel expliquant son propos. Selon CBS News, le courriel explique qu’il désirait « remettre en question les conditions de travail des artistes et leurs salaires pour établir des normes plus équitables ».
CBS News a rapporté que le directeur du musée, Lasse Anderson, a éclaté de rire en voyant les toiles. Ce n’est en effet pas ce qu’ils avaient convenu, mais force était de constater que l’œuvre portait un commentaire sur le sujet de l’exposition. Haaning étant connu pour œuvrer à la limite de la légalité et son sens de l’humour ayant été pris en compte, la surprise était moindre pour les enthousiastes de l’art.
Le directeur a toutefois précisé s'attendre à recevoir l'argent le 16 janvier 2022, date inscrite au contrat.
L’artiste a refusé et le musée a entamé des procédures judiciaires. La décision du juge est tombée le 18 septembre : Haaning peut garder sa commission pour le travail de son oeuvre (5 572 $ CA), mais doit rembourser la somme due au musée. Les parties avaient quatre semaines pour contester la décision, soit jusqu’au 18 octobre.
Selon l’entreprise de radio-télévision publique du Danemark DR, l’accusé a annoncé ne pas avoir les fonds nécessaires pour continuer les procédures légales. Le directeur des communications du musée Kunsten, Lars Ulrich Hansen, a pourtant révélé à l’Apostrophe que Haaning a finalement décidé de porter le jugement en appel pour contester la décision du juge et retourner en cour.
Un retournement surprenant
Est-ce que le plan de l’artiste déboule hors de son contrôle? Pas selon Nermin Duraković, un artiste contemporain du Danemark. Ce dernier est d’avis qu’avec les 25 ans d’expérience d’Haaning et sa présence dans les plus grandes expositions, « [Haaning] ne fait pas d’erreurs quand il fait de l’art. Il est très conscient. S’il agit, c’est vraiment délibéré ».
« Dans le monde légal, c'est un vol, dans le monde artistique, c'est un happening », raconte Duraković. C'est un des « dadas » d’Haaning : « Il met en lien deux mondes qui ne se croisent pas dans le monde régulier ».
Il précise que l'artiste provient du mouvement de l'Art relationnel, qui réfléchit à l'éthique. Selon Lucia Popa, doctorante en sociologie de l'art, « les actions qui se déroulent en dehors du musée, dans des lieux publics dits "ordinaires" […] sont les outils favoris des artistes relationnel(le)s ».
Tout est planifié
« [Haaning] cherche à provoquer un dialogue sur la condition de travail des artistes et sur ce qu'est l'art », explique Duraković.
Ce dernier raconte que le revenu moyen des artistes est en dessous du salaire moyen, et qu’avec le coût de la vie élevé du Danemark, la situation est assez mauvaise. Haaning a raconté à la plateforme en ligne artnet que créer l’œuvre demandée lui aurait coûté l’équivalent de 3 900 $ de sa poche, alors que son salaire était, rappelons-le, de 5 572 $.
À savoir si l’œuvre remplit son rôle de générer de la discussion, Duraković déplore que la couverture médiatique se concentre sur l’action plutôt que le propos.
Selon lui, l’œuvre est une performance encore en cours et seul le temps laissera la poussière se déposer pour révéler la vérité.
Illustration : Allyson Caron-Pelletier