En Russie, il est possible pour une femme d’avoir toutes les compétences et les études requises pour exercer un métier, mais de tout de même se retrouver dans l’incapacité d’obtenir l’emploi souhaité, car le gouvernement vise à protéger sa santé et sa fertilité. Une réalité méconnue pourtant présente depuis 1970.
« Le régime soviétique a été très à l’avant-garde pour plusieurs questions comme la légalisation du divorce et de l’avortement et l’accès massif au marché du travail [des femmes] et ce, très tôt dans le Code de la famille de 1918 et 1922, mais sans grand changement de mentalité quant à leurs fonctions ménagères et d’éducation des enfants », explique le professeur d’histoire spécialisé en histoire de la Russie à l’Université du Québec à Montréal, Jean Lévesque. Pour ce dernier, ces événements sont en contradiction avec l’accès restreint à certains métiers, qui perdure depuis plusieurs années.
C’est dans le Code du travail russe, datant de 1974, que l’on retrouve la liste mentionnée pour la première fois.
Les métiers qui nécessitent la production ou l’utilisation de produits chimiques, la production de ciment, des travaux de fonderie, ainsi que de sidérurgie sont quelques exemples de domaines toujours interdits aux femmes russes. Ces métiers sont jugés comme étant trop risqués pour la fertilité de celles qui les pratiquent : un témoignage des valeurs traditionnelles qui sont fortement ancrées au pays. La liste sera toutefois réduite à moins de 100 métiers ou contraintes de travail à partir du 1er janvier 2021. S’il n’est pas encore question d’éliminer complètement cette liste, il s’agit du résultat d’une meilleure compréhension des risques associés aux métiers dangereux, ainsi que d’un plus important souci d’égalité.
Combattre l’inégalité
Cette conscientisation sociétale suppose une hausse du mouvement féministe en Russie : ce n’est toutefois pas le cas. Tamara Alteresco, correspondante à Moscou pour Radio-Canada, a constaté que les femmes qui se butent aux interdictions n’agissent pas selon une conscience féministe. La journaliste en est venue à cette conclusion après s’être entretenue avec Ioulia Kourakina, une femme qui s’est battue afin d’être cheffe de train. « Je lui ai demandé, si elle se considérait comme féministe, et elle m’a répondu que non », explique Mme Alteresco. Selon elle, il s’agissait plutôt d’une question d’ambition personnelle, d’autant plus que la plupart des femmes ignorent qu’il leur est interdit de pratiquer certains métiers. C’est en essayant de pratiquer les métiers en question qu’elles se rendent compte des interdictions, poursuit la journaliste. Le mouvement féministe en Russie se concentre actuellement sur la violence conjugale, précise-t-elle. Un nouveau projet de loi propose d’ailleurs des sanctions pour remédier à cet enjeu sociétal, soit une peine d’emprisonnement de 15 jours ou une amende d’un peu plus de 500$. Ces mesures provoquent le mécontentement des citoyens, puisque ceux-ci les considèrent comme trop faibles par rapport aux enjeux.
Ainsi, malgré l’indignation que les interdictions de métiers peuvent provoquer au pays, il n’en reste pas moins que certains enjeux attirent davantage l’attention.
Photo par Matt Flores, unsplash