La communauté innue de Uashat Mak-Mani Utenam, située dans la région de Sept-Îles, sur la Côte-Nord du Québec, décrète une autonomie de gouvernance. Elle s’inscrit dans un mouvement plus large de réformes institutionnelles, portée par la Loi C-92 et la réappropriation d’aires protégées.
Plusieurs ententes ont été négociées entre la communauté et les gouvernements du Québec et du Canada pour mener à terme des projets d’intérêt national, tout en reconnaissant l’importance de la bénédiction du conseil Innu Takuaikan Uashat Mak-Mani Utenam (ITUM).
Vers une nouvelle gouvernance des services à l’enfance
La sédentarisation des peuples autochtones a permis l’accès à certaines infrastructures et plusieurs services, mais elle s’est accompagnée du démantèlement des structures de gouvernance traditionnelles. Selon Marie-Claude André-Grégoire, avocate et membre de la communauté Uashat mak Mani-Utenam, ces avancées matérielles ne compensent pas la rupture avec le territoire. « Pour éviter que cette souffrance culturelle ne se prolonge, les communautés [autochtones] doivent pouvoir agir comme véritables propriétaires de leurs terres et de leurs institutions », explique-t-elle.
Au fédéral, l'adoption de la Loi C-92, élaborée en 2019, reconnaît aux peuples autochtones le droit de légiférer en matière de services à l’enfance et à la famille. Le Québec a toutefois contesté cette loi devant la Cour suprême, estimant qu’elle empiétait sur ses compétences provinciales. En février 2024, la Cour a confirmé sa validité, affirmant qu’elle respecte les droits ancestraux à l’autonomie gouvernementale.
Uashat mak Mani-Utenam a ainsi conçu sa propre législation. Fondée sur les valeurs et les traditions innues, elle a mis sur pied un service de protection de la jeunesse destiné à remplacer la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). La Loi Tshisheuatishitau repose sur une approche holistique du bien-être familial et la transmission intergénérationnelle des savoirs, afin d’assurer l’équilibre sociétal et le respect de la culture traditionnelle.
La Commission nationale d’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a qualifié les pratiques de la DPJ de génocide culturel. En rupture avec ces logiques punitives et bureaucratiques, la Loi C-92 reconnaît aux communautés le droit d’agir comme propriétaires de leurs institutions.
Des aires protégées à la souveraineté locale
Depuis plusieurs décennies, Uashat mak Mani-Utenam revendique une gestion directe de ses terres ancestrales. Guy Bois, l’ancien chef de pupitre d’Espaces autochtones et chargé de cours à l’École des médias de l’UQAM, témoigne des régimes juridiques complexes qui fragmentent ces espaces, « tiraillent les droits légaux et politiques de la communauté. » Les enjeux fonciers sont au cœur des préoccupations d’ITUM, ajoute André Michel, directeur du bureau des droits et du territoire. Ceux-ci touchent à la souveraineté, à la préservation des ressources naturelles et à la protection des sites sacrés.
La réappropriation territoriale passe par la création d’aires protégées, soit des terres placées sous gouvernance autochtone où l’écosystème culturel et la biodiversité sont préservés conjointement. Cette restitution des terres se concrétise, entre autres, en raison de négociations avec les compagnies minières et forestières actives sur le « Nitassinan », c’est-à-dire « le territoire » en langue Innu-aimun, témoigne André Michel. La communauté exige un rôle décisionnel en vue d’une gouvernance territoriale assumée. Le respect des lieux culturels et la redistribution équitable des retombées économiques sont également des revendications claires visant la souveraineté locale.
Le 2 septembre 2025, l’aire protégée de conservation autochtone de la rivière Moisie (Mishta-shipu) a été proclamée, visant à préserver les habitats du saumon et du caribou ainsi que les portages ancestraux. Menée sans partenariat gouvernemental, cette initiative affirme la capacité de la communauté à définir les usages du territoire selon les principes innus.
Pour André Michel, « la gouvernance territoriale est indissociable de la gouvernance sociale ». Consolider les structures de gouvernance internes permet à la communauté de mieux défendre ses droits fonciers et de négocier d’égal à égal avec les instances gouvernementales, dit-il.
Selon lui, porté par la mémoire des luttes et la force des solidarités, ce mouvement incarne « un outil de résilience et de reconstruction collective ». Cette initiative pourrait ainsi inspirer d’autres nations à suivre la voie de l’autodétermination.