L’ancienne première ministre de la Thaïlande, Paetongtarn Shinawatra, a été relevée de ses fonctions en août dernier. Cette troisième destitution du parti Pheu Thai soulève des questionnements sociétaux et replonge le pays dans l’instabilité politique.
La fuite d’une conversation téléphonique entre Paetongtarn Shinawatra et Hun Sen, le premier ministre du Cambodge, a causé la chute du parti de Mme Shinawatra, le Pheu Thai. M. Sen l’a menacée de divulguer sur Internet cet appel enregistré à son insu. Durant celui-ci, la première ministre thaïlandaise parlait péjorativement du général thaïlandais Phana Khlaeoplotthuk et montrait des signes de bonne relation avec le Cambodge.
Pour la Cour constitutionnelle, cela constitue une faute grave de manquement à l’éthique. L’opinion du peuple n’est pas aussi catégorique et plusieurs croient qu’il s’agit plutôt d’un prétexte pour renverser le pouvoir en place. Une faiblesse morale lui a également été reprochée par la Cour.
Le sujet de cet appel prend racine dans un conflit remontant à l’époque coloniale. Les deux pays étaient convaincus que le temple patrimonial Preah Vihear leur appartenait en raison d’une délimitation changeante de leur frontière et se le disputaient. Cette lutte s’est cependant aggravée lorsque des tirs thaïlandais ont causé la mort d’un soldat cambodgien en mai dernier, dans la région frontalière du monument. Deux cessez-le-feu ont mis fin au conflit : le premier en juillet et le second en octobre.
Une destitution justifiée?
Annoncée en août, sa destitution soulève des inquiétudes sur l’avenir démocratique du pays: « J’aimerais voir des élections chaque quatre ans [...], nous aurions le pouvoir de choisir. Actuellement, le premier ministre nous est imposé », souligne Chanintorn Pensute, docteure en sciences politiques à l’Université Chiang Mai en Thaïlande.
La Thaïlande est un État unitaire : tous les pouvoirs sont centralisés autour de l’autorité royale. « Le peuple thaïlandais reste profondément attaché à la monarchie. Il manifeste une grande révérence envers la famille royale, perçue comme le ciment de l’unité nationale », mentionne Sophy Tan, candidate à la maîtrise en sciences politiques à l’Université Laval.
Les militaires y sont également très influents. Depuis que l’armée a repris le pouvoir en 2014, certains droits de l’homme y sont bafoués, notamment la liberté d’expression, l’égalité homme-femme ou envers les minorités. « C’est un apprentissage. Il n’y a peut-être plus de coup d’État, mais j’aimerais voir la paix et l’harmonie régner dans mon pays », exprime Mme Pensute.
Une instabilité politique omniprésente
Le gouvernement dépend de l’appui du parlement pour exercer ses fonctions. Cela se traduit régulièrement par des refontes de partis politiques. Lors des élections législatives de 2023, le principal parti progressiste Move Forward Party (MFP) avait récolté plus de votes ; talonné par Pheu Thai, également progressiste. Pheu Thai s’est associé aux partis conservateurs militaires afin d’accéder au pouvoir, déclassant le MFP dans l’opposition.
Un an plus tard, le MFP a demandé à réviser la loi sur le crime de lèse-majesté, qui « condamne tous ceux qui font une petite critique contre le roi », explique Alexandre Veilleux, doctorant en sciences politiques à l’Université de Montréal. En guise de réponse, la Cour constitutionnelle a dissous le parti et destitué Srettha Thavisin, le premier ministre en place. Reconnu coupable d’avoir enfreint les règles déontologiques, celui-ci avait « nommé un ministre condamné pour corruption », rapporte l’Agence France-Presse. C’est dans ce contexte que Paetongtarn Sinawatra lui a succédé.
Le chef du parti Bhumjaithai, Anutin Charnvirakul, a été nommé premier ministre temporaire. Des élections seront déclenchées dans un délai maximal de quatre mois après son entrée en fonction et il devra trouver le moment idéal pour dissoudre la Chambre des représentants, qui sera reconstituée d’ici mars 2026.