Peuple autochtone d’Afrique du Nord, les Amazighs ont vu leur langue marginalisée pendant des décennies au profit de l’arabe et du français.
Depuis sa reconnaissance comme langue officielle en 2011, le tamazight peine à s’imposer dans la vie publique. Mais entre décisions politiques, lenteur institutionnelle et résistances sociales, le combat pour sa valorisation est loin d’être terminé.
« Je suis un illettré de ma propre langue », confie le journaliste et écrivain amazigh Majid Blal. Pour lui, les efforts de l’État restent insuffisants.
Hayat Sali, une femme amazighe installée à Montréal, partage ce constat. Elle salue les mesures faites tel que le projet de traduire toutes les lois d’ici 2034, mais souligne qu’elles visent avant tout à combler « un retard historique ».
Éducation et ignorance
Le tamazight demeure souvent associé à la ruralité ou au folklore, une image héritée de décennies de marginalisation. Selon M. Blal, cette perception entretient une forme d’« ignorance sacralisée », où la religion est parfois utilisée pour hiérarchiser les langues.
« Certains religieux disent qu’au jour du jugement dernier, on répondra à Dieu en arabe », rapporte-t-il. Une croyance qui perpétue l’idée que le tamazight est une langue inférieure et freine sa pleine reconnaissance.
« Ce n’est pas assez de simplement traduire en tamazight. Il faut que la culture s’enseigne à l’école », affirme Inès Aguini, tatoueuse kabyle installée à Montréal. Originaire d’Algérie, elle rappelle que les Kabyles vivent une situation semblable à celle des Amazighs du Maroc : malgré la reconnaissance officielle de leur langue, sa transmission reste fragile. Son témoignage souligne ainsi que la lutte pour la préservation des langues amazighes dépasse les frontières nationales et concerne l’ensemble de l’Afrique du Nord.
« L’histoire a été écrite par les vainqueurs », rappelle M. Blal. Pour lui, comprendre la marginalisation du tamazight exige aussi de revenir sur le passé : lorsque les royaumes amazighs sont tombés, leur culture et leur langue ont peu à peu été effacées des récits officiels. « Il y a eu plus de 75 ans de guerre avant la chute des royaumes amazighs », précise-t-il. Enseigner cette mémoire, ajoute-t-il, permettrait de « reconstruire une identité apaisée » et de redonner à la langue la place qu’elle occupait autrefois dans l’histoire du Maroc.
Une présence encore timide
Pour Mme Sali, la reconnaissance officielle du tamazight a permis à la langue de gagner en visibilité dans les médias et dans la culture populaire. « Le rôle des médias est primordial dans l’ancrage de cette identité », a affirmé la citoyenne en évoquant les programmes télévisés et les publicités qui intègrent désormais des mots ou des expressions en tamazight.
Elle estime que cette présence est souvent limitée à des périodes précises, comme le Nouvel An amazigh, sans s’enraciner de façon stable dans la vie quotidienne.
De son côté, M. Blal estime que le tamazight continue d’être perçu comme la langue d’une minorité, alors qu’il constitue une part essentielle du patrimoine marocain. « L’identité amazighe est liée intrinsèquement à l’histoire du Maroc », rappelle-t-il.
Il souligne également la lenteur de son intégration dans les institutions : « Il faut repenser l’administration avec un regard local et régional. » Dans plusieurs régions rurales, les citoyens peinent encore à se faire comprendre dans leur propre langue. Cela les oblige à faire appel à des traducteurs pour tout ce qui concerne l’administratif.
Il souligne aussi une autre problématique : l’unification de la langue elle-même. « On n’a pas une langue amazighe unique au Maroc. Il existe plusieurs dialectes : le chleuh, le rifain, celui du Moyen Atlas [...] chacun a sa propre identité », précise-t-il. Chacune est porteuse d’une culture et d’une histoire distinctes.
Fierté et identité affirmées
Pour Mme Sali, femme amazighe fière de ses origines, la langue représente bien plus qu’un simple moyen de communication : « C’est toute mon identité », dit-elle. Native d’Agadir, elle continue de transmettre le tamazight à sa fille, même depuis le Canada. « Sa langue maternelle, c’est l’amazigh », ajoute-t-elle. Pour elle, parler cette langue à la maison, c’est à la fois préserver un héritage et résister à l’effacement culturel.
Elle se souvient encore de la première fois où elle a entendu les nouvelles diffusées en tamazight : « C’était une fierté, une victoire pour nous. » Entendre sa langue dans les médias, c’était enfin la voir exister dans l’espace public après des décennies de silence.
Cette fierté, autrefois intime, s’exprime aujourd’hui dans une nouvelle génération. À travers la musique, la mode ou les arts, les jeunes réinventent les symboles amazighs. « C’est la jeunesse d’aujourd’hui qui reprend le flambeau », souligne Mme Sali.
Pour Mme Aguini, cette fierté dépasse les frontières : « La communauté, c’est le pouvoir. Il faut s’aider entre communautés. »