L’Australie a vu un nouveau projet de loi être déposé en octobre dernier impliquant le recours à la technologie de reconnaissance faciale pour pouvoir accéder à des sites pour adultes. Un projet qui, selon des experts, doit être examiné avec beaucoup de prudence.
La nouvelle loi, si elle est approuvée par la Chambre des représentants du Parlement, obligerait tout individu souhaitant visiter des sites de paris ou à contenu pornographique à fournir son identité ainsi que son empreinte faciale. D’après la description du projet, cela permettrait de réduire de façon considérable l’affluence de personnes mineures sur ces sites, car l'information donnée devrait être vérifiée par le gouvernement, rendant donc la régulation très difficile à contourner.
« Ce n’est rien d’illégitime », croit l’ancien enseignant de science politique à l’Université Macquarie de Sydney, Winton Higgins. « La dépendance au jeu est un grave problème dans ce pays […], des gens démunis vident littéralement leurs poches dans celles des gens riches. Je crois au contraire que c’est tout à fait légitime de vouloir brimer leur vie privée si des conséquences désastreuses peuvent être évitées de cette manière », explique-t-il.
Au cours de l'année financière 2017-2018, les paris ont coûté près de 25 milliards de dollars aux Australiens, selon le Conseil du trésor du Queensland. Depuis, le pays figure d’ailleurs au premier rang mondial en ce qui a trait aux pertes liées au jeu en moyenne par personne. « Ce dont on a besoin, c’est de contrôler le problème. Il faut en revanche faire attention à la manière dont on utilise cette technologie, et à ce que cette information ne tombe pas entre de mauvaises mains », met en garde M. Higgins.
Le X lui aussi ciblé
Si les habitudes en ligne d’un accro aux paris ne paraissent pas si confidentielles, celles d’un consommateur de pornographie peuvent très bien l’être. « Je vois facilement comment ces informations-là pourraient être utilisées contre ceux qui en regardent », confie Christophe, un Québécois de 16 ans qui consomme de la pornographie bien que cela soit déconseillé par le gouvernement. Ces renseignements, si rendus publics, pourraient facilement être utilisés à des fins de chantage ou d’humiliation. « Personnellement, ça ne m’influence pas tant que ça, mais j’en connais pour qui ça influence beaucoup [leur sexualité] en général », détaille l’adolescent.
Selon une étude effectuée en 2011 par l'Italian Society of Andrology and Sexual Medicine, la pornographie numérique est en train d'anéantir à petit feu la performance sexuelle des jeunes hommes. L'analyse démontre que le visionnement de contenu pornographique nuit à l'entretien d’une relation, le ou la partenaire, dans la majorité des cas, n'étant pas en mesure de concurrencer les pratiques sexuelles infinies et gratuites disponibles sur Internet.
Des moyens imparfaits
Certaines mesures existent afin de limiter l’accès à ce type de contenu, notamment la fonctionnalité « Safesearch », activable sur la majorité des navigateurs web, ou encore le contrôle parental, qui peut être installé sur un ordinateur ou un réseau wifi. « Aucune solution n’est parfaite, il y a toujours moyen de les contourner. Par exemple, mes parents ont mis un contrôle parental sur le wifi, mais je prends mon LTE si je veux en regarder », explique cependant le jeune homme. Celui-ci concède néanmoins que la pornographie a un effet pervers sur la jeunesse et que le projet de loi a raison de cibler cet enjeu, mais ne le fait pas de la bonne manière. Il pense en effet qu'une solution plus efficace serait de forcer les sites au contenu explicite à renforcer leur sécurité pour empêcher les moins de 18 ans d'y accéder.
Développeur web senior chez Enghouse Systems, Louis Subirana est du même avis : « Il y a tellement d’autres technologies qui existent pour échapper aux obstacles sur son chemin. Par exemple, les VPN (Réseau privé virtuel), qui sont de plus en plus utilisés dans la communauté en général, ou encore le logiciel Ultrasurf, qui est très populaire chez les dissidents chinois qui veulent se connecter à Internet. » Les VPN sont des outils permettant à l'utilisateur de masquer ou modifier son adresse IP afin de naviguer sur le web de manière anonyme.
Dans tous les cas, il croit qu’il sera particulièrement ardu de convaincre la population de donner les informations requises au gouvernement pour accéder à ces sites et que cette méthode en dissuaderait plusieurs, mais pas tous. « De toute façon, la majorité des mineurs ne sauraient pas comment remplir la documentation et leurs parents refuseraient, en tout cas je l’espère, de le faire pour eux », poursuit le développeur web.
Le projet de loi en est à sa troisième lecture à la Chambre des représentants, à la suite de laquelle il pourrait être approuvé. À la fin de 2019, le Royaume-Uni avait laissé tomber un projet en tout point similaire pour des raisons d’atteinte à la vie privée. Le Parlement australien ne reprendra toutefois pas ses activités avant le mois d’août en raison de la pandémie de COVID-19.
Photo par Benjamin Richer