Plusieurs étudiants et étudiantes américain.es disent avoir été victimes d’injustice en raison des opinions politiques de leurs professeur.es. Selon certains et certaines spécialistes, le réel problème se situerait plutôt au niveau de la liberté dans les salles de classe, plutôt que dans la notation attribuée par les professeurs.
De récentes études menées par la Fondation sur les Droits Individuels en Éducation montrent que plus de 80% des étudiants et étudiantes des États-Unis se sont autocensuré.es dans le cadre de leurs cours en 2021. Eric Kaufmann, professeur de politique à l’Université de Londres est d’avis que plusieurs étudiants et étudiantes associent cette autocensure à la peur d’être jugés ou de voir leurs notes affectées. « Puisqu’il y a davantage de personnes à gauche dans les universités [aux États-Unis], la pression des pairs est très intense pour ne pas avoir l’air d’un conservateur, ce n’est pas quelque chose que tu veux admettre », déplore-t-il.
« Je pense que du point de vue d’un enseignant, c’est notre rôle de montrer aux étudiants comment former leurs propres opinions, et pas leur inculquer la nôtre », indique Jason Giersch, professeur associé au département de science politique et d'administration publique à l’Université de Caroline du Nord.
Concrètement, comme les personnes en classe sont craintives de parler librement de politique, cela peut faire en sorte que certains sujets, qui devraient normalement être débattus à l’université, ne le sont pas, pense M. Giersch.
La neutralité en classe
Eric Kaufmann croit que les professeurs ne devraient pas exprimer leurs opinions dans les cours. Cependant, ils et elles ne devraient pas être réprimé.es s’ils le font, puisque la liberté d’expression demeure.
« Je pense que les professeurs qui parlent de politique marchent toujours sur des œufs. [...] Dans certains cours, c’est difficile de dire si ce que dit un professeur est un fait, ou une opinion politique. [Les professeurs] devraient faire très attention de différencier les faits académiques de leurs points de vue », confie Sarah Tupper, une étudiante en planification communautaire en environnement à l’Université du New Hampshire, qui s’est déjà impliquée au sein du parti démocrate.
Plusieurs chercheurs et chercheuses indiquent que la communauté étudiante apprécie généralement qu’un ou une professeure exprime légèrement ses opinions dans le cadre d’un cours. « Nous avons trouvé que les étudiants tendent à aimer quand les professeurs abordent des sujets controversés dans leurs cours, et les étudiants sont d’accord si le professeur exprime son opinion, mais il y a une limite que l’enseignant ne doit pas dépasser », explique M. Giersch. Pour lui, cette limite est que les professeur.es ne devraient jamais noter leurs étudiants sur leur capacité à adopter leur opinion.
Dans un monde idéal, il y aurait de vrais débats et discussions entre les étudiants et les étudiantes dans le cadre des cours, mais en ce moment ce n’est pas le cas, puisque plusieurs ont peur de prendre la parole, pense Eric Kaufmann.
Qualité de l’enseignement et biais politique
Le phénomène des personnes étudiantes qui disent avoir été notées différemment en raison de leurs opinions politiques est certes existant, mais ça reste l’enjeu de la liberté d'expression qui prévaut au sein des salles de cours. « Je ne pense pas que cela arrive autant que ce que les gens le craignent. [...] Est-ce que ça arrive? Oui, j’en suis convaincu. Est-ce que cela arrive très souvent? Je ne pense pas », nuance Jason Giersch. « Je pense que dans la sphère publique on a entendu parler de professeurs qui endoctrinent leurs étudiants [...] mais ça n’arrive pas aussi souvent que certains peuvent le penser », précise-t-il.
Sarah Tupper n'a jamais vu de telle situation. Elle affirme toutefois avoir vu certaines personnes blâmer leurs professeur.es sur le site Rate My Professor, une plateforme où il est possible de noter son ou sa professeure selon différents critères Ces derniers et dernières auraient orienté leurs cours en fonction de leur mentalité politique, causant un biais évident.
Les deux professeurs sont clairs et s’entendent sur un sujet: ils font preuve de beaucoup de prudence en abordant les sujets qui divisent dans leurs cours. « J’ai tendance à être neutre [en abordant des sujets sensibles] [...] surtout quand j’enseigne à des plus grands groupes. [...] Dans d’autres cours, où les classes sont plus petites, je partage plus avec mes étudiants et j’ai tendance à les inviter à me confronter », raconte M. Giersch.
Selon Sarah Tupper, discuter de politique en classe demeure malgré tout très important et inévitable, pour autant que cela soit fait de la bonne manière. « Je pense que le fait que les étudiants puissent parler de politique en classe est quelque chose d’important. Comparer ses opinions et en discuter sainement, ça c’est essentiel », résume-t-elle.
Illustration: Magali Brosseau