L'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) dans l'industrie des dessins animés au Japon contribue à l'amélioration des conditions de travail, mais menace aussi le savoir-faire artisanal et le bagage culturel du dessin traditionnel.
Les logiciels d'IA générative peuvent désormais imiter les images sources qu'on lui fournit. Au printemps dernier, les réseaux sociaux ont d'ailleurs été inondés d'images reproduisant le style de Studio Ghibli, reconnu pour ses films comme Princesse Mononoké. Cette tendance a engendré de nombreux débats sur la légalité de la génération d'images.
Les lois sur la reproduction d'images et les droits d'auteurs ne se développent pas à la même vitesse que l'IA. Prouver que la propriété intellectuelle de Studio Ghibli est utilisée pour entraîner les modèles d'IA s'avère difficile, car cette information n'est pas accessible publiquement. Selon Dre Sachiyo Kanzaki, chercheuse sur l'IA au Japon, ces modèles d'IA générative sont « comme une imprimante ». Leurs créateurs ne peuvent être tenus responsables, car ils ne font qu'offrir un service à leurs utilisateurs. Ce sont plutôt ces derniers qui ne respectent pas les droits d'auteurs en reproduisant des images sans le consentement des artistes.
Des avis mitigés
Le Japon sort plus de 300 animés par an. Dre Zhen Ye, chercheuse sur la transformation numérique de l'animation à l'Université Meiji, décrit les conditions de travail actuelles comme difficiles. Le travail est exigeant et le milieu est à court de main-d'œuvre.
Les dessins, l’animation et la colorisation d'images sont complétés par des contractants qui forment 30% des employés. L'IA peut prendre en charge ces tâches. Philippe Fournelle, doctorant en animation japonaise, explique que cela permet de diminuer la charge de travail et les coûts de production tout en améliorant la qualité du rendu final. « L'IA peut travailler sur les images la nuit, pendant que les employés sont à la maison. Le lendemain, ils vérifient ce qui a été fait et corrigent les problèmes », a-t-il précisé.
Les postes qui seront remplacés par la nouvelle technologie servent de point de départ dans la carrière de nombreux animateurs. Même si le travail est exigeant et répétitif, il est aussi très formateur. D'après Ranya Denison, professeure de cinéma et d'art numérique à l'Université Bristol, l'arrivée de l'IA annonce une possible perte de savoir-faire pour les générations futures. « Si personne n'apprend à faire ce travail-là, l'industrie perd une grande partie de son expérience technique », a-t-elle expliqué.
Trouver l'équilibre
Les studios plus traditionnels qui s'opposent à l'IA, comme le Studio Ghibli, valorisent les techniques manuelles humaines de l'animation. Dre Zoe Crombie, chercheuse aux côtés de Dre Denison, est du même avis : « Le fait de savoir qu'une machine crée ces images a en partie affecté l'attrait [du dessin animé], qui est d'apprécier le travail d'un collectif d'artisans. »
La série Twins Hinahima, dont 95% des scènes ont été complétées avec l'assistance de l'IA, est largement critiquée par le public, depuis sa sortie en mars dernier. Selon Dre Ye, l'émission produite par Frontier Works et KaKa Creation manque de profondeur : « les lignes sont floues, il y a de nombreuses erreurs et le rendu final est médiocre ». Une étude de 2024 a démontré qu’une utilisation de l'IA, comprise entre 30 et 70%, permet un gain d'efficacité optimal. Twins Hinahima a dépassé ce taux d'utilisation, preuve que l'équilibre entre l'utilisation de l'IA et le travail humain reste encore à être perfectionné.