Nommé aux Oscars 2023 dans la catégorie du meilleur film international, Vuta N’Kuvute ne représente que la deuxième œuvre cinématographique tanzanienne à avoir été saluée internationalement.
Le titre Vuta N’Kuvute, qu'on pourrait traduire par « lutte acharnée » en swahili, est plutôt de circonstance, puisque la dernière et première participation de la Tanzanie aux Oscars remonte à 2002, avec le film Maangazi : The Ancient One. Selon Amil Shviji, le réalisateur du plus récent des deux films, cette sous-représentation découlerait d’une longue histoire de colonialisme.
« Tu dois sans cesse te prouver », a déclaré Amil Shivji, ne comprenant pas le peu de confiance que leur accordent les grands distributeurs. « Le cinéma africain n’est pourtant pas si marginal. Tous les films au monde sont différents : différentes histoires, différentes personnes, différentes langues, différents dialectes… », a-t-il ajouté.
Selon le réalisateur, un cercle vicieux se créerait à partir de ce manque de confiance. Sans cette foi en le cinéma africain, les réalisateurs n’obtiennent pas le financement nécessaire afin de faire valoir leurs films. Sans ce financement, ils ne pourront pas non plus convaincre les distributeurs américains et européens d’avoir foi en eux. « Plus que de la visibilité, ce qu’on recherche, c’est de la confiance », a affirmé M. Shivji.
À son avis, si la Tanzanie se taille aussi difficilement une place sur la scène mondiale, c’est en raison de ce comportement « méprisant » des producteurs, faisant partie des résidus du colonialisme.
Une audience insuffisante aux yeux des distributeurs
Le manque de ressources financières n’affecte pas uniquement les réalisateurs tanzaniens. Selon une étude effectuée par l’Université de Sherbrooke en 2018, près de la moitié de la population tanzanienne vivrait avec moins d’un dollar par jour. « Les gens n’ont pas tous le luxe de se payer Netflix! », s’est exclamée Priscilla Mlay, la superviseure créative des productions Kijiweni, la boîte de production du film Vuta N’Kuvute.
La pauvreté influence les comportements sociaux. Amil Shivji a expliqué qu’en Tanzanie, très peu de gens vont au cinéma. On ne compte que 10 cinémas, où n’est projeté, selon ses dires, que “le pire d’Hollywood et de Bollywood”. Malgré le fait que la Tanzanie soit deuxième en Afrique en nombre de films produits, derrière le Nigeria, sa faible audience locale n’aide pas l’industrie à se faire remarquer par les géants du milieu.
Un récent désir de franchir les frontières
Selon Priscilla Mlay, la quête de reconnaissance internationale n’aurait débuté que récemment, avec la nouvelle génération. « Auparavant, c’était avec le marché des cassettes qu’on réussissait à s’en sortir », a-t-elle expliqué. « Il est nouveau que l’on cherche à faire entendre nos voix plus loin en munissant nos films de sous-titres. » Aux yeux de la productrice, ce changement donne espoir. À son avis, c’est cette persévérance et ce désir qui pourraient aider la Tanzanie à augmenter sa visibilité et à se tailler une place de choix au niveau mondial.
Illustration: Camille Enara Pirón