Charmants, mais stupides et fêtards. Jolies, mais superficielles et matérialistes. Voilà les images véhiculées par la culture populaire des jeunes qui choisissent de s’affilier à une fraternité ou à une sororité lors de leur passage à l’université. Incursion en territoire américain, où ces étudiants et étudiantes ont bien plus à offrir que des clichés.
Riley Flores est bachelière en génie biomédical et travaille comme ingénieure de recherche à l’Université Brown, dans le Rhode Island. Elle souhaite devenir doctorante dans les prochaines années, mais d’ici là, elle participe activement aux activités organisées par sa sororité, Alpha Chi Omega.
Avant son arrivée à l’université, Riley connaissait très peu de choses sur les organisations de lettres grecques, ces sociétés exclusives qui permettent à des élèves de vivre en communauté dans des maisons partagées. « J’associais surtout ça au sud du pays, aux jeunes filles blondes et minces qui sont des copies conformes l’une de l’autre », lance-t-elle d’emblée.
Si Riley avait cette opinion des sororités, c’est parce qu’elle se fiait aux stéréotypes qu’elle avait observés au cinéma et à la télévision. Des stéréotypes qui, malgré leurs exagérations, sont bien ancrés dans l’histoire américaine.
Des racines révélatrices
Matthew Hughey, professeur de sociologie à l’Université du Connecticut, comprend d’où émanent les idées préconçues de la jeune ingénieure. « Le système d’enseignement supérieur américain a été conçu pour éduquer les jeunes hommes blancs. Au début du 20e siècle, lorsque les universités ont commencé à accepter un bassin d’élèves plus diversifié, des organisations de lettres grecques ont été formées pour permettre à cette “élite” de conserver un espace exclusif au sein de la vie universitaire », explique-t-il.
Riley ne s’imaginait pas adopter le mode de vie grecque. Fille d’immigrants cubains et ouvertement queer, elle ne se « reconnaissait pas du tout » dans l’image stéréotypée que projette ces clubs sélects.
Lors de sa première semaine de classe, une amie l’a invitée dans un souper organisé par sa sororité, Alpha Chi Omega. « J’ai été étonné de rencontrer un groupe de femmes super diversifiées. Des latinas, comme moi, mais aussi des femmes noires, asiatiques et blanches, qui provenaient de partout au pays », se rappelle-t-elle. L’étudiante a apprécié la soirée au point de se joindre à l’organisation, qui l’a accueillie sans lui imposer d’épreuves de recrutement.
Plus ça change, plus c’est pareil
Selon le Journal de recherche de l’Association des conseillers des fraternités et sororités, de plus en plus de jeunes issus de la diversité sont dorénavant membres d’organisations de lettres grecques. Toutefois, le système demeure affligé de problèmes; impossible d’ignorer les preuves statistiques qui révèlent que ces associations sont des terrains propices aux agressions sexuelles et à la consommation excessive d’alcool. Selon Bloomberg Data, 60 décès liés aux évènements de fraternités ont été enregistrés au cours des quinze dernières années. Pour le professeur Hughey, le lien historique entre la protection du statut de l’homme blanc et la tolérance de comportements inappropriés « ne serait pas anodin ».
La naissance de mouvements sociaux comme Me Too et Black Lives Matter a déclenché une véritable vague de sentiments anti-grecs dans la dernière décennie: des centaines d’étudiants et d’étudiantes ont rédigé des éditoriaux condamnant la culture dépassée de leur organisation. Depuis, certaines pratiques ont été mises en place pour éviter les débordements.
Nouveau départ
David*, qui a complété un baccalauréat en économie à l’Université de Pennsylvanie en 2022, conserve de bons souvenirs du temps qu’il a passé au sein de sa fraternité. « J’ai rencontré mes meilleurs amis là-bas. Ça a facilité ma vie sociale à l’université, surtout dans un endroit où tu ne peux pas entrer dans un bar si tu as moins de 21 ans », relate-t-il.
David affirme s’être senti en sécurité lors des soirs de fête puisque certains de ses frères occupaient le rôle de « contrôleur de risques » pour superviser l’entièreté de la soirée. « Si quelqu’un adoptait un comportement louche ou inapproprié, il se faisait renvoyer de l’événement », se souvient-il.
En ce qui concerne la consommation d’alcool, le jeune homme se rappelle de quelques cas problématiques, mais assure qu’il n’a jamais vu qui que ce soit être forcé à prendre un verre. « J’ai vu des gens dépasser leur limite, c’est sûr, dit-il avec le sourire. Cela dit, nous n’étions pas autorisés à mettre de la pression sur nos invités pour qu’ils consomment », assure David.
Un vent de changement souffle sur les campus américains. Les sociétés de lettres grecques ont fait leurs devoirs en ce qui concerne le bien-être de leurs membres, mais il aura fallu que toute une génération se mobilise pour qu’un changement de mentalité s’opère. Et si le système n’est plus aussi alpha qu’à ses débuts, il continue d’être le point focal de la vie sociale de nombreux jeunes adultes en quête d’émancipation…et de festivités.
*Prénom fictif afin de préserver l’anonymat
Illustration: Magali Brosseau