Au Brésil, les piquets métalliques sous les ponts, l’éclairage dissuasif et les accoudoirs divisant les bancs publics sont désormais illégaux depuis 2023. Le pays devient ainsi l’un des premiers à prohiber explicitement ces dispositifs conçus pour limiter ou décourager certains usages de l’espace public.
La Loi Padre Júlio Lancellotti, adoptée en 2023, proscrit toute installation urbaine qui vise à repousser ou à créer de l’inconfort pour les plus vulnérables, en particulier les personnes en situation d’itinérance.
Cette mesure innovante prend racine dans un geste de contestation devenu un symbole. En 2021, un prêtre engagé de São Paulo, Júlio Lancellotti, avait attiré l’attention nationale après avoir fracassé à la masse des blocs de pierre posés sous un viaduc pour empêcher les personnes sans-abri d’y trouver refuge. Les images, devenues virales, ont soulevé un débat national sur la notion d’espace public et ont mené à l’adoption de la loi qui porte son nom.
Et ici ?
Montréal n’échappe malheureusement pas au phénomène. La planification urbaine s’appuie sur une série de dispositifs subtils pour orienter nos comportements : un banc étroit nous force à nous asseoir brièvement, un tracé nous oblige à circuler droit, et l’absence d’abris décourage le flânage. L’architecture hostile en représente l’expression la plus explicite.
Pour Bruno Demers, directeur général d’Architecture sans frontières Québec, l’architecture hostile est aussi économique. Ces stratégies, qui « nettoient » les quartiers, permettent d’augmenter la valeur perçue des lieux et, par conséquent, les taxes foncières.
Pour la majorité, ces aménagements sont anodins, voire souhaitables, puisqu’ils ne leur sont pas destinés. Les accoudoirs segmentés des bancs de métro, par exemple, peuvent donner l’impression d’offrir un espace mieux délimité à l’usager pressé. Cependant, leur fonction première est d’empêcher qu’on puisse s’y allonger pour décourager toute occupation prolongée. Ces dispositifs sont pensés avant tout pour exclure les plus précaires, transformant ceux-ci en citoyens de seconde classe.
L’hostilité ne se manifeste pas uniquement dans l’aménagement physique. Elle peut être sonore ou lumineuse. C’est le cas du Complexe Desjardins qui, à l’hiver 2024, a suscité l’indignation après la diffusion en boucle de la chanson « Baby Shark » dans les escaliers de sorties de secours. Une situation avec un objectif assumé : décourager les personnes en situation d’itinérance de flâner dans ces espaces.
S’inspirer du Brésil
Nous attribuons symboliquement et physiquement une valeur d’existence à certains citoyens au détriment d’autres en créant des endroits publics inhospitaliers. L’application de la loi brésilienne n’est pas parfaite, mais elle a au moins le mérite d’exister. Légiférer, c’est poser un acte de reconnaissance : admettre que le problème existe et que la société a une responsabilité envers tous ses membres.
L’architecture hostile ne résout pas la pauvreté. Elle ne fait que la masquer, la déplacer et, en fin de compte, l’entériner.